Political Notes - Representative Democracy
Anthony Downs, "An Economic Theory of Democracy" (1957) - Mancur Olson, "The Logic of Collective Action : Public Goods and the Theory of Groups " (1965) - Bryan Caplan, "The Myth of the Rational Voter: Why Democracies Choose Bad Policies" (2007) - Christopher Achen & Larry Bartels, "Democracy for Realists : Why Elections Do Not Produce Responsive Government " (2016) - Drew Westen, "The Political Brain: The Role of Emotion in Deciding the Fate of the Nation" (2007) - Jonathan Haidt, "The Righteous Mind: Why Good People Are Divided by Politics and Religion" (2012) - Ilya Somin, "Democracy and Political Ignorance : Why Smaller Government Is Smarter" (2013) - George Lakoff, "The Political Mind : Why You Can't Understand 21st-Century American Politics with an 18th-Century Brain" (2008) - Philip Converse, "The Nature of Belief Systems in Mass Publics" (1964) - "Public Choice III", Dennis C. Mueller (2003) - Jason Brennan, "Against Democracy" (2016) - Hanna Pitkin, "The Concept of Representation" (1967) -...
Last update: 06/06/2024
L'étude de l'irrationalité et de la rationalité des comportements des électeurs est un sujet central en science politique, en économie et en psychologie. Et les interrogations relatives au comportement des électeurs sont devenues un problème majeur dans les démocraties du XXIe siècle...
C'est que dans de très nombreuses démocraties, on a pu observer une montée de partis dits populistes et une polarisation accrue de l'électorat. Les électeurs semblent de plus en plus attirés par des discours simplistes, émotionnels ou anti-élites. Des tendances qui semblent se nourrir d'une crise de confiance sans précédent dans les institutions traditionnelles, des inégalités économiques persistantes et d'un sentiment d'abandon d'une partie de la population, et bien entendu comme souvent, de l'exploitation des peurs (immigration, mondialisation) par certains partis politiques et dirigeants sans étoffe politique. Les réseaux sociaux et les plateformes numériques ont de même transformé la manière dont les électeurs s'informent et interagissent avec la politique. La Raison peut-elle être encore à la base de la Démocratie lorsque des algorithmes montrent aux électeurs des contenus qui renforcent leurs opinions préexistantes, limitant l'exposition à des perspectives divergentes (Bulles informationnelles ), se propagent de fausses informations ou par trop partielles (désinformation), que les médias influencent les priorisations des électeurs et la perception des problèmes tout en souffrant d'un déficit désormais chronique d'objectivité et de pluralisme (suivant les pays, on observe des disparités très importantes des médias envers le pouvoir), que l'invective remplace l'argument et que les débats en ligne deviennent le plus souvent extrêmes et conflictuels (polarisation), ou que des responsables politiques attisent les divisions et les peurs (incompétence politique). On oublie souvent que chaque élection est en fait foncièrement une remise en jeu de l'avenir de la démocratie...
Nos institutions démocratiques n'évoluent plus, et nul politique ou gouvernant ne s'en préoccupe véritablement tant la détention du pouvoir pour le pouvoir l'emporte sur toute autre considération : et alors que l'on peut observer nombre de signes qui peuvent susciter bien des inquiétudes, le déclin de la participation électorale, le désengagement politique (des décisions globales sont prises par des politiques élus par 20% du corps électoral), l'obtention de majorités relatives ou étroites (l'acceptation de décisions prises avec 51% des voix devient avec la polarisation n'est plus d'évidence). Sait-on encore ce qu'est un consensus?.
Non seulement les partis traditionnels perdent désormais du terrain au profit de mouvements plus radicaux ou de partis de niche, ce qui fragmente les systèmes politiques, non seulement les clivages politiques traditionnels (gauche/droite) sont remplacés désormais par des clivages basés sur des pseudos valeurs (progressistes vs conservateurs) ou des identités (nationalisme vs cosmopolitisme) : mais possédons-nous réellement aujourd'hui encore des opinons politiques au sens d'idées politiques et non pas sociétales ou quasi "viscérales"?
La culture politique n'ayant pu, semble-t-il, se renouveler après l'effondrement des grands récits politiques,- on préfère parler de cette fameuse fin des idéologies (ce qui est assez court), plutôt que de celle du politique : nombre de profils technocratiques, sans profondeur politique et nourris par des généralités sans consistance, peuplent désormais les allées du pouvoir.
A cela s'ajoutent les défis du XXIe siècle (changement climatique, pandémies, migrations, inégalités, menaces et dissension géopolitiques, vide intellectuel global et polarisations brutales) sont perçus comme trop complexes pour être résolus par les systèmes politiques actuels. Et les électeurs doutant de la capacité des gouvernements à répondre efficacement à ces défis, cela ne peut-il conduire à une demande croissante pour des leaders forts, des mobilisations simplistes et des solutions radicales?
Des interrogations d'autant plus essentielles que se posent désormais des problématiques telles que la légitimité démocratique (si les électeurs se désengagent ou votent de manière protestataire, la légitimité des institutions démocratiques n'est-elle pas remise en question), la stabilité politique (la polarisation et la montée des extrêmes peuvent déstabiliser les systèmes politiques et rendre la gouvernance plus difficile), l'efficacité des politiques publiques (des électeurs mal informés ou influencés par une désinformation globale ou relative peuvent soutenir des politiques inefficaces ou nuisibles) : des tendances qui soulèvent des questions sur la capacité des démocraties à s'adapter aux défis du XXIe siècle...
La philosophie politique anglo-saxonne, largement influencée par une tradition empirique et analytique, privilégie généralement l'étude pragmatique des institutions, des procédures démocratiques, de la justice sociale, et moins les grandes théories diagnostiquant, par exemple, une fin historique ou existentielle du politique. La réflexion sur la politique tend à y être plus axée sur des questions pratiques, institutionnelles et éthiques concrètes plutôt que sur des débats métaphysiques ou existentiels globaux...
Un auteur ( Somin) a affirmé de manière provocante que les individus prennent de meilleures décisions lorsqu’ils choisissent ce qu’ils achètent sur le marché, une voiture, un téléviseur, que lorsqu’ils votent aux urnes, parce qu’ils sont plus fortement incités à acquérir des informations pertinentes et à les utiliser judicieusement. L’un des plus grands problèmes de la démocratie moderne est que la plupart du public est généralement non seulement ignorant de la politique et du gouvernement mais que plus encore le comportement des électeurs est influencé par une combinaison complexe de rationalité limitée, de biais cognitifs, de préjugés, d'émotions et d'ignorance. Certains auteurs (comme Downs) partaient de l'hypothèse d'une rationalité des électeurs, d'autres désormais (comme Caplan, Achen et Bartels) soulignent les limites de cette approche et mettent en lumière les aspects irrationnels du vote. Ces travaux sont essentiels pour comprendre les défis de la démocratie et imaginer des solutions pour améliorer la prise de décision collective...
Anthony Downs, "An Economic Theory of Democracy" (1957)
C'est l'un des ouvrages fondateurs sur la rationalité des électeurs. Les concepts clés introduits par Downs sont célèbres : rationalité économique du vote, les électeurs et les partis agissent comme des agents économiques rationnels, "ignorance rationnelle" (faible investissement des électeurs en information politique car bénéfices faibles), "concurrence spatiale" (représentation des préférences électorales sur un axe gauche-droite continu), "votant médian" (électeur dont la préférence politique se situe exactement au milieu du spectre politique, décisif pour la victoire électorale) ...
Downs applique la théorie économique au comportement électoral, en supposant que les électeurs agissent de manière rationnelle pour maximiser leur utilité. Il introduit l'idée que les électeurs votent pour le candidat ou le parti qui leur apportera le plus d'avantages.
- Les acteurs politiques (citoyens, partis, candidats) se comportent comme des agents économiques rationnels cherchant à maximiser leur propre utilité personnelle.
- La politique est envisagée comme un « marché » où les partis politiques proposent des « produits » (programmes politiques, promesses électorales) afin de capter les voix des électeurs.
Downs part donc du principe que les électeurs et partis politiques agissent rationnellement en cherchant à maximiser leurs bénéfices (gains en votes pour les partis, gains en politiques publiques pour les électeurs). L'électeur rationnel compare les bénéfices attendus du vote (promesses électorales, politique espérée) aux coûts associés (temps, informations, déplacement).Mais Downs introduit de même la notion fondamentale d’ignorance rationnelle : étant donné le coût d'acquisition d'information, les électeurs rationnels choisissent volontairement de ne pas s’informer en profondeur sur les programmes politiques, car le bénéfice individuel de leur vote est perçu comme faible (une voix unique influence rarement l'élection).
Les partis politiques sont considérés comme des entreprises qui maximisent leurs parts de marché électoral. Downs montre, via la théorie de la concurrence spatiale, que les partis politiques tendent à adopter des positions modérées (théorème de l’électeur médian).
Résultat clé : Pour maximiser leurs chances électorales, les partis vont souvent converger vers les préférences du « votant médian », situé au centre de l’échiquier politique. C'est ainsi qu'est popularisé le théorème qui stipule que, dans un système bipartisan, les deux partis tendent à proposer des politiques proches des préférences du votant médian. Ce phénomène permet d'expliquer la convergence idéologique des grands partis politiques dans de nombreux systèmes démocratiques (comme le bipartisme américain). Et sans doute la quasi disparition ou l'essoufflement de certains partis, ainsi le socialisme en France.
Ce livre a fondamentalement renouvelé la science politique, introduisant l’économie politique dans la théorie démocratique. mais plus encore, il éclaire les phénomènes de convergence idéologique observés dans de nombreuses démocraties occidentales, souligne les limites du vote rationnel individuel, expliquant la faible participation électorale comme un phénomène rationnel, et a influencé la conception moderne des campagnes électorales axées sur l’électeur « médian » ou « indécis »...
Mancur Olson, "The Logic of Collective Action: Public Goods and the Theory of Groups " (1965)
Un texte fondateur en économie politique et en théorie politique contemporaine qui remet en question la vision traditionnelle selon laquelle les individus se mobilisent naturellement en groupes pour défendre leurs intérêts communs.
Principaux concepts développés par Olson : le paradoxe de l’action collective, le problème du passager clandestin (free rider problem) ...
Olson développe une théorie rigoureuse démontrant pourquoi les groupes d'intérêt ne se forment pas aussi facilement qu'on pourrait le croire, introduisant une réflexion novatrice sur la notion d'action collective et le rôle des incitations économiques dans l'organisation sociale et politique.
- L'action collective pour atteindre un intérêt commun (bien public) est confrontée à un paradoxe : bien que les individus partagent un intérêt commun, ils ne coopèrent pas nécessairement pour le réaliser. Dans un groupe partageant un intérêt commun (par exemple, la protection de l’environnement, les droits syndicaux), les individus n'ont pas spontanément intérêt à s’investir personnellement. Et ce parce que chaque individu rationnel cherche à maximiser son bénéfice tout en minimisant ses coûts. Il préfèrera donc laisser les autres agir à sa place, tout en profitant gratuitement des bénéfices obtenus (passager clandestin).
- Plus le groupe est grand, moins ses membres individuels seront enclins à participer activement à l’action collective, à cause du phénomène du « passager clandestin » (free rider) : les individus ont tendance à compter sur les autres pour agir à leur place...
Olson introduit la notion d’incitations sélectives (selective incentives) pour surmonter le problème du passager clandestin : Ces incitations (positives ou négatives) sont des avantages ou pénalités spécifiquement réservés aux individus qui participent effectivement à l'action collective (par exemple, des récompenses matérielles, une meilleure reconnaissance sociale, des privilèges réservés aux membres actifs).
Olson va distinguer trois types de groupes selon leur taille,
- des Groupes petits ou « privilégiés » : Ces groupes disposent de fortes incitations à agir, car le bénéfice individuel d’une action réussie est élevé, et les membres peuvent facilement contrôler les comportements de chacun.
- des Groupes intermédiaires : Ces groupes nécessitent des incitations sélectives (récompenses individuelles, sanctions), sinon l’action collective échoue.
- des Grands groupes ou groupes « latents » : Ces groupes ont peu de chances de réussir une action collective spontanée, car chaque individu perçoit sa contribution personnelle comme insignifiante par rapport au coût d’engagement. C’est dans ces groupes que le problème du passager clandestin est maximal.
Olson distingue deux types de biens essentiels dans l'analyse de l’action collective,
- Biens publics : non exclusifs et non rivaux (sécurité collective, environnement sain, augmentation des salaires suite à une grève). Ils créent typiquement un problème d’action collective.
- Biens privés : exclusifs et rivaux (un logement, un repas individuel). Ils ne posent pas de problème d’action collective.
Ainsi la théorie d’Olson explique pourquoi des intérêts minoritaires très organisés (par exemple, des lobbys économiques puissants) peuvent dominer des intérêts majoritaires plus diffus (comme les consommateurs ou les contribuables). Elle éclaire de même la difficulté des mobilisations de masse sur des enjeux d’intérêt général (environnement, justice sociale, etc.) et la relative facilité d’organisation des petits groupes bien structurés (entreprises, syndicats sectoriels, cartels économiques).
Pour se résumer, Olson a profondément influencé la théorie du choix public (Public Choice theory), la sociologie politique, et la science politique contemporaine. Son ouvrage explique le rôle crucial des institutions pour résoudre les problèmes d’action collective (législations, régulations, dispositifs incitatifs). Sa théorie demeure centrale pour comprendre les défis de mobilisation citoyenne, notamment autour des enjeux globaux (écologie, climat, paix internationale).
Dans "The Myth of the Rational Voter: Why Democracies Choose Bad Policies" (Le Mythe de l'Électeur Rationnel), écrit par Bryan Caplan (2007), - professeur d'économie à l'Université George Mason, connu pour ses travaux en théorie du choix public et en économie comportementale, fervent défenseur des idées libertariennes et du libre marché -, s'interroge sur ce qu'il considère un paradoxe de la démocratie : dans la vision la plus naïve, on nous explique que la démocratie fonctionne parce qu’elle fait ce que les électeurs veulent. Et pour ceux qui doutent de ce modèle, ils en viennent à penser tout aussi naïvement que la démocratie échoue parce qu’elle ne fait pas ce que les électeurs veulent. Dans la perspective de notre économiste, paradoxalement, la démocratie échoue parce qu’elle fait ce que les électeurs veulent. Le doute vient de ce que les démocraties adoptent et maintiennent fréquemment des politiques nuisibles à la majorité des gens. Et l’idée centrale de sa thèse est que les électeurs sont pires que simplement ignorants ; ils sont, en un mot, irrationnels, et votent en conséquence ....
Caplan ne rejette certes pas la démocratie en tant que système politique, mais il critique son inefficacité dans le domaine économique. Il suggère que les décisions économiques devraient être davantage déléguées à des experts ou à des mécanismes de marché, plutôt que d'être soumises aux caprices des électeurs irrationnels ...
Introduction - THE PARADOX OF DEMOCRACY
"IN A DICTATORSHIP, government policy is often appalling, but rarely baffling. The building of the Berlin Wall sparked worldwide outcry, but few wondered, “What are the leaders of East Germany thinking?” That was obvious: they wanted to continue ruling over their subjects, who were inconsiderately fleeing en masse. The Berlin Wall had some drawbacks for the ruling clique. It hurt tourism, making it harder to earn hard currency to import Western luxuries. All things considered, though, the Wall protected the interests of elite party members.
No wonder democracy is such a popular political panacea. The history of dictatorships creates a strong impression that bad policies exist because the interests of rulers and ruled diverge.2 A simple solution is make the rulers and the ruled identical by giving “power to the people.” If the people decide to delegate decisions to full-time politicians, so what? Those who pay the piper—or vote to pay the piper—call the tune.
This optimistic story is, however, often at odds with the facts. Democracies frequently adopt and maintain policies harmful for most people. Protectionism is a classic example. Economists across the political spectrum have pointed out its folly for centuries, but almost every democracy restricts imports. Even when countries negotiate free trade agreements, the subtext is not, “Trade is mutually beneficial,” but, “We’ll do you the favor of buying your imports if you do us the favor of buyingours.” Admittedly, this is less appalling than the Berlin Wall, yet it is more baffling. In theory, democracy is a bulwark against socially harmful policies, but in practice it gives them a safe harbor...
DANS UNE DICTATURE, la politique gouvernementale est souvent effroyable, mais rarement déroutante. La construction du mur de Berlin a provoqué un tollé mondial, mais peu de gens se sont demandé : « À quoi pensent les dirigeants de l'Allemagne de l'Est ? » C'était évident : ils voulaient continuer à régner sur leurs sujets, qui fuyaient massivement et de manière inconsidérée. Le mur de Berlin présentait certains inconvénients pour le clan au pouvoir. Il nuisait au tourisme, rendant plus difficile l'obtention de devises fortes pour importer des produits de luxe occidentaux. Tout bien considéré, cependant, le mur protégeait les intérêts des membres de l'élite du parti.
Pas étonnant que la démocratie soit un remède politique si populaire. L'histoire des dictatures donne une forte impression que les mauvaises politiques existent parce que les intérêts des dirigeants et des dirigés divergent. Une solution simple consiste à rendre les dirigeants et les dirigés identiques en donnant « le pouvoir au peuple ». Si le peuple décide de déléguer les décisions à des politiciens à plein temps, et alors ? Ceux qui paient le musicien – ou votent pour le payer – choisissent la musique.
Cependant, cette histoire optimiste est souvent en contradiction avec les faits. Les démocraties adoptent et maintiennent fréquemment des politiques nuisibles à la majorité des gens. Le protectionnisme en est un exemple classique. Des économistes de tous bords politiques en ont dénoncé l'absurdité depuis des siècles, mais presque toutes les démocraties restreignent les importations. Même lorsque les pays négocient des accords de libre-échange, le sous-texte n'est pas : « Le commerce est mutuellement bénéfique », mais plutôt : « Nous vous ferons la faveur d'acheter vos importations si vous nous faites la faveur d'acheter les nôtres. » Certes, cela est moins effroyable que le mur de Berlin, mais c'est plus déroutant. En théorie, la démocratie est un rempart contre les politiques socialement nuisibles, mais en pratique, elle leur offre un refuge sûr...."
Le plus grand obstacle à une saine politique économique n'est pas les intérêts particuliers enracinés ou le lobbying effréné, mais les idées fausses populaires, les croyances irrationnelles et les préjugés personnels des électeurs ordinaires. C'est l'évaluation d'un livre provocateur et révélateur de notre époque. Caplan soutient que les électeurs choisissent continuellement des politiciens qui partagent leurs préjugés ou prétendent le faire, ce qui entraîne l'adoption répétée de mauvaises politiques en réponse à la demande populaire. En remettant en question nos hypothèses les plus fondamentales sur la politique américaine, et à travers une analyse du comportement électoral des Américains et de leurs opinions sur une série de questions économiques, Caplan affirme que la démocratie échoue précisément parce qu'elle fait ce que les électeurs veulent ...
L'irrationalité des électeurs vs. la rationalité des acteurs du marché, les conséquences des choix ...
- Dans les marchés, les individus agissent de manière rationnelle (ou du moins plus rationnelle) parce qu'ils subissent directement les conséquences de leurs décisions. Par exemple, si un consommateur achète un produit de mauvaise qualité, il en paie le prix directement. Cette responsabilité personnelle incite à des choix plus réfléchis.
- Dans les démocraties, les électeurs n'ont pratiquement aucune responsabilité individuelle pour les conséquences de leur vote. Un vote irrationnel ou basé sur des croyances erronées ne leur coûte rien personnellement, mais ses effets négatifs sont répartis sur l'ensemble de la société. Cela encourage des comportements irrationnels, comme soutenir des politiques économiquement nuisibles (protectionnisme, contrôles des prix, etc.).
La recherche de l'information la plus fiable ...
- Dans les marchés, les acteurs économiques ont des incitations fortes à bien s'informer, car leurs décisions ont un impact direct sur leur bien-être. Par exemple, un investisseur fera des recherches approfondies avant d'acheter une action.
- Dans les démocraties, les électeurs ont peu d'incitations à s'informer correctement sur les enjeux politiques, car la probabilité que leur vote influence le résultat est infime. Cela conduit à une ignorance généralisée et à des décisions basées sur des émotions, des préjugés ou des idées fausses.
Les préjugés systématiques des électeurs
Caplan identifie quatre préjugés principaux chez les électeurs
- Le préjugé anti-marché : Une méfiance injustifiée envers les mécanismes de marché.
- Le préjugé anti-étranger : Une hostilité envers le commerce international et l'immigration.
- Le préjugé pro-emploi : Une obsession pour la création d'emplois, même inefficace.
- Le préjugé pessimiste : Une tendance à croire que l'économie va mal, même quand ce n'est pas le cas.
Des préjugés qui poussent les électeurs à soutenir des politiques économiquement inefficaces, comme le protectionnisme ou les subventions à des industries non compétitives.
Caplan ne prétend pas que les marchés sont parfaits, mais soutient qu'ils sont moins pires que les démocraties pour prendre des décisions économiques. Les marchés tendent à corriger les erreurs plus rapidement grâce à la concurrence et aux signaux de prix, tandis que les démocraties peuvent persister dans des politiques inefficaces pendant des décennies en raison de l'irrationalité des électeurs. Il souligne que les marchés sont souvent sous-estimés par le public et même par les économistes, alors que la démocratie est surévaluée. Pour Caplan, une réduction du rôle de la démocratie au profit des marchés pourrait améliorer les résultats économiques...
Caplan proposera plusieurs solutions audacieuses pour améliorer le fonctionnement du gouvernement démocratique – par exemple, en encourageant les éducateurs économiques à corriger les idées fausses populaires et en recommandant que les démocraties en fassent moins et laissent les marchés prendre le relais...
Christopher Achen & Larry Bartels, "Democracy for Realists : Why Elections Do Not Produce Responsive Government " (2016)
"Democracy for Realists" entend remettre radicalement en question les idéaux traditionnels associés à la démocratie représentative, notamment l'idée selon laquelle les élections seraient un moyen efficace d'assurer que les gouvernements répondent aux préférences rationnelles et informées des citoyens. Les auteurs montrent que les électeurs sont souvent influencés par des facteurs identitaires, émotionnels ou contextuels (comme la performance économique récente). Ils critiquent le modèle de "l'électeur rationnel" et proposent une vision plus réaliste de la démocratie. Il appelle ainsi à reconsidérer les fondements de la démocratie représentative et la manière dont les systèmes politiques pourraient être réformés ou améliorés, tenant compte des biais et limites des citoyens ...
Les théories classiques de la démocratie, fondées sur l'idée d'électeurs rationnels, informés et soucieux du bien commun, ne correspondent pas à la réalité empirique. Les comportements électoraux sont largement déterminés par des facteurs irrationnels, émotionnels, identitaires, et par des raccourcis cognitifs (heuristics) plutôt que par une réflexion informée sur les programmes politiques. En conséquence, la démocratie réelle diffère fortement de l'idéal démocratique traditionnel : les élections ne garantissent pas un gouvernement réellement représentatif ou répondant aux intérêts des électeurs.
Les arguments principaux ...
- Le mythe de l’électeur rationnel : Achen et Bartels montrent empiriquement que les électeurs ne sont pas des acteurs politiques rationnels ni pleinement informés : Ils manquent souvent d'informations précises sur les programmes politiques. Ils ne comprennent généralement pas les liens entre politiques publiques et résultats concrets. Le vote est souvent déterminé par des biais cognitifs, des émotions passagères, ou des identités partisanes.
- « Rétrospection myope » (Myopic Retrospection) : Un concept central dans l’ouvrage, les électeurs jugent souvent les gouvernements de façon rétrospective (d'après leur passé récent). Mais cette évaluation est souvent « myope », irrationnelle ou injuste : les électeurs punissent les dirigeants pour des événements hors de leur contrôle (catastrophes naturelles, crises économiques globales, résultats sportifs, etc.). Cette « rétrospection myope » rend les élections peu efficaces pour sélectionner les dirigeants compétents ou les bonnes politiques.
- Importance de l’identité sociale et partisane : Les électeurs s’identifient fortement à des groupes sociaux (ethniques, religieux, régionaux) ou à des partis politiques. Ces identités déterminent largement leurs comportements électoraux, indépendamment de considérations rationnelles ou d’intérêts matériels. En pratique, le vote exprime souvent une affiliation sociale ou identitaire plus qu'une préférence éclairée sur les politiques publiques.
- Critique du modèle démocratique classique (« folk theory ») : La « folk theory » démocratique suppose que la démocratie permet aux citoyens de contrôler les gouvernements et d’assurer leur responsabilité politique. Achen et Bartels critiquent cette vision comme idéaliste et fausse, car elle repose sur une surestimation des capacités rationnelles et informatives des électeurs.
- Repenser la démocratie de manière réaliste signifie introduire la notion de "rétrospection myope", décrire comment les identités sociales dominent le processus démocratique, et proposer une redéfinition du rôle des élections et des partis politiques.
Les auteurs plaident pour une vision plus réaliste (« réaliste démocratique »), tenant compte des limites humaines (cognitives, émotionnelles) et reconnaissant les déterminants réels du comportement électoral. Ils suggèrent que la démocratie réelle doit être comprise davantage comme un système de légitimation des gouvernements que comme un moyen de contrôle rationnel des citoyens sur les politiques publiques.
Drew Westen, "The Political Brain: The Role of Emotion in Deciding the Fate of the Nation" (2007)
En politique, quand la raison et l’émotion s'opposent, l’émotion gagne invariablement. Les élections sont décidées sur le marché des émotions, un marché rempli de valeurs, d’images, d’analogies, de sentiments moraux et d’oratoire émouvant, dans lequel la logique ne joue qu’un rôle de soutien. Dans "The Political Brain", Drew Westen, professeur de psychologie et de psychiatrie à l'Université Emory, explore l'influence prédominante des émotions sur les décisions politiques des électeurs. Il conteste la vision traditionnelle selon laquelle les électeurs agissent principalement de manière rationnelle, en évaluant objectivement les programmes politiques. Au contraire, Westen soutient que les émotions jouent un rôle central dans le processus décisionnel politique, et que les campagnes électorales efficaces doivent s'adresser aux sentiments des électeurs pour réussir.
La thèse centrale de Westen est que le cerveau politique est avant tout un cerveau émotionnel. Les électeurs prennent des décisions basées sur leurs émotions, leurs valeurs et leurs identités sociales, plutôt que sur une analyse rationnelle des politiques publiques. Les campagnes politiques qui réussissent sont celles qui parviennent à établir une connexion émotionnelle avec les électeurs, en racontant des histoires qui résonnent avec leurs espoirs, leurs peurs et leurs valeurs fondamentales.
".. The founding fathers, many of the great seventeenth and eighteenth century philosophers whose ideas shaped their thinking (and ultimately the U.S. Constitution), and two hundred years of political scientists, economists, and cognitive scientists have held to some version of a dispassionate vision of the mind. According to this view, people make decisions by weighing the available evidence and reaching conclusions that make the most sense of the data, as long as they have a minimum of time and interest. Many have argued that this is the way the mind works. The vast majority have argued that this is the way it should work if people are behaving rationally. This view of the mind is not one to be dismissed lightly. It is a vision that ushered in the Age of Reason and was intimately related to the rise of democracy, freedom from religious authority, and development of the scientific method. By turning to reason, philosophers could argue against the absolute authority of monarchy, usually justified by appeals to divinity, tradition, or assumptions about the natural order of things.
« Les pères fondateurs, la plupart des grands philosophes des XVIIe et XVIIIe siècles dont les idées ont façonné leur pensée (et, en fin de compte, la Constitution américaine), ainsi que deux cents ans de politologues, d'économistes et de spécialistes des sciences cognitives ont défendu une certaine version d'une vision dépassionnée de l'esprit. Selon cette vision, les gens prennent des décisions en pesant les preuves disponibles et en tirant les conclusions les plus logiques des données, pour autant qu'ils disposent d'un minimum de temps et d'intérêt. Nombreux sont ceux qui affirment que c'est ainsi que fonctionne l'esprit. La grande majorité d'entre eux ont affirmé que c'est ainsi qu'il devrait fonctionner si les gens se comportaient de manière rationnelle. Cette vision de l'esprit ne doit pas être rejetée à la légère. C'est une vision qui a inauguré l'âge de la raison et qui a été intimement liée à l'essor de la démocratie, à l'affranchissement de l'autorité religieuse et au développement de la méthode scientifique. En se tournant vers la raison, les philosophes pouvaient s'opposer à l'autorité absolue de la monarchie, généralement justifiée par des appels à la divinité, à la tradition ou à des hypothèses sur l'ordre naturel des choses.
This was the approach taken by the social contract philosophers who influenced the framing of the American Constitution. The common denominator of the social contract theorists (and their modern-day descendants, notably the philosopher John Rawls) was that people came together to create a state and govern themselves through rational autonomous choice. Although these philosophers generally agreed that reason is the basis of democracy, they differed in the extent to which they allowed a place for emotion at the table of the republic. Thomas Hobbes, whose Leviathan ushered in the age of social contract theories, argued that people enter into a social contract—an agreement to submit to laws and join civilized society —because they seek pleasure and avoid pain. Ultimately, however, he presumed that giving up the liberty to do as one pleases makes rational sense when compared with the "war of all against all" that constitutes the "state of nature" prior to the social contract, in which life is "nasty, brutish, and short."
C'est l'approche adoptée par les philosophes du contrat social qui ont influencé l'élaboration de la Constitution américaine. Le dénominateur commun des théoriciens du contrat social (et de leurs descendants modernes, notamment le philosophe John Rawls) était que les gens se réunissaient pour créer un État et se gouverner eux-mêmes par le biais de choix rationnels et autonomes. Bien que ces philosophes soient généralement d'accord sur le fait que la raison est la base de la démocratie, ils diffèrent dans la mesure où ils accordent une place à l'émotion à la table de la république. Thomas Hobbes, dont le Léviathan a inauguré l'ère des théories du contrat social, a soutenu que les gens concluent un contrat social - un accord pour se soumettre aux lois et rejoindre la société civilisée - parce qu'ils recherchent le plaisir et évitent la douleur. En fin de compte, cependant, il présume que renoncer à la liberté de faire ce que l'on veut a un sens rationnel par rapport à la « guerre de tous contre tous » qui constitue « l'état de nature » avant le contrat social, dans lequel la vie est « méchante, brutale et courte ».
"The framers of the U.S. Constitution themselves were of many minds about emotion, although in general, in keeping with more than 2000 years of Western philosophy since Plato, they feared the distorting influence of emotion on the rational thought necessary for good decisions in a democracy. Plato argued that when reason and passion collide, the proper place for passion is in the back seat. In the Federalist Papers, the framers of American democracy made clear, like both Plato and the social contract philosophers, that only through reason can people set aside their selfinterested and parochial desires to make decisions in the common interest. Passions can lead to rapid, poorly thought-out, self-interested acts, or to the psychology of the mob, inflamed by the emotion of the moment and capable of turning on anyone in its path." ...
« Les rédacteurs de la Constitution américaine étaient eux-mêmes partagés sur la question des émotions, bien qu'en général, conformément à plus de 2000 ans de philosophie occidentale depuis Platon, ils craignaient l'influence déformante des émotions sur la pensée rationnelle nécessaire à la prise de bonnes décisions dans une démocratie. Platon affirmait que lorsque la raison et la passion entrent en conflit, la passion a sa place sur la banquette arrière. Dans les Federalist Papers, les auteurs de la démocratie américaine ont clairement indiqué, à l'instar de Platon et des philosophes du contrat social, que seule la raison permet aux individus de mettre de côté leurs intérêts personnels et leurs désirs de clocher pour prendre des décisions dans l'intérêt commun. Les passions peuvent conduire à des actes rapides, mal réfléchis et intéressés, ou à la psychologie de la foule, enflammée par l'émotion du moment et capable de se retourner contre quiconque se trouve sur son chemin ». ..."
Les concepts clés développés par Westen sont les suivants :
- Le rôle central des émotions dans la prise de décision politique : Westen démontre que les émotions sont au cœur des décisions politiques. Les électeurs réagissent aux candidats et aux partis en fonction de leurs sentiments, tels que la confiance, l'espoir, la peur ou l'aversion. Ces réactions émotionnelles influencent fortement leurs choix électoraux, souvent plus que les positions politiques spécifiques des candidats.
- L'importance des récits et du cadrage : Les récits politiques et la manière dont les enjeux sont cadrés jouent un rôle crucial dans la formation des opinions des électeurs. Les campagnes efficaces utilisent des histoires et des cadres qui évoquent des réponses émotionnelles positives, alignées sur les valeurs et les croyances des électeurs. Par exemple, la campagne de réélection de Ronald Reagan en 1984 a utilisé le slogan "Morning in America" pour évoquer des sentiments d'optimisme et de fierté nationale.
- Les réseaux d'association dans le cerveau : Westen explique que le cerveau humain fonctionne par des réseaux d'association, où des pensées, des sentiments et des images sont interconnectés. Les campagnes politiques réussies activent ces réseaux en associant leur candidat à des images et des sentiments positifs, tout en liant leurs adversaires à des associations négatives. Par exemple, l'utilisation d'images de familles heureuses, de drapeaux et de paysages pittoresques peut créer des associations positives avec un candidat.
- et Critique des stratégies démocrates (US) : Westen critique les démocrates pour avoir misé sur des arguments rationnels et des politiques détaillées, négligeant l'importance des émotions dans la persuasion des électeurs. Il soutient que cette approche a conduit à des défaites électorales, car elle ne parvient pas à établir une connexion émotionnelle avec les électeurs. Il cite les campagnes de Al Gore et John Kerry comme exemples de cette stratégie inefficace.
"The Political Brain" a eu un impact notable sur la manière dont les campagnes politiques sont conçues et menées. Il a encouragé les stratèges politiques à intégrer davantage la psychologie émotionnelle dans leurs approches, reconnaissant que la connexion avec les électeurs passe par l'engagement émotionnel autant que par la présentation de politiques.
Jonathan Haidt, "The Righteous Mind: Why Good People Are Divided by Politics and Religion" (2012).
Pourquoi nos dirigeants politiques ne peuvent-ils pas travailler ensemble alors que les menaces se profilent et que les problèmes s’accumulent? Pourquoi les gens sont-ils si enclins à supposer le pire des motivations de leurs concitoyens? Dans "The Righteous Mind", le psychologue social Jonathan Haidt explore les origines de nos divisions et indique la voie à suivre pour parvenir à une compréhension mutuelle. Son point de départ est l’intuition morale — les perceptions presque instantanées que nous avons tous des autres et des choses qu’ils font. Ces intuitions semblent être des vérités évidentes, ce qui nous donne la certitude que ceux qui voient les choses différemment sont dans l’erreur. Haidt nous montre comment ces intuitions diffèrent entre les cultures, y compris celles de la gauche et de la droite. Il combine ses propres résultats de recherche avec ceux des anthropologues, des historiens et d’autres psychologues pour dresser une carte du domaine moral, et il explique pourquoi les conservateurs peuvent naviguer sur cette carte plus habilement que les libéraux.
Haidt examine ensuite les origines de la moralité, renversant ainsi l’idée que l’évolution nous a transformé fondamentalement en créatures égoïstes. Mais plutôt que de dire que nous sommes naturellement altruistes, son affirmation est plus subtile : nous sommes fondamentalement "êtres de groupe". C’est notre esprit de groupe, explique-t-il, qui conduit à nos plus grandes joies, à nos divisions religieuses et à nos affiliations politiques. Dans un dernier chapitre l’idéologie et la civilité, Haidt montre ce que chaque camp a de bon et pourquoi nous avons besoin des idées des libéraux, des conservateurs et des libertaires pour prospérer en tant que nation...
Dans la théorie des fondements moraux qu'il décrit, la morale humaine est censée reposer sur six fondements "de base" (six foundational "tastes"), qui fonctionnent comme des systèmes psychologiques innés guidant les jugements moraux...
- Care/Harm (Soin/Malfaisance) : Sensibilité à la souffrance et besoin de prendre soin des autres.
- Fairness/Cheating (Équité/Tricherie) : Préoccupations concernant la justice, l'égalité et la réciprocité.
- Loyalty/Betrayal (Loyauté/Trahison) : Allégeance à des groupes, équipes ou nations.
- Authority/Subversion (Autorité/Subversion) : Respect de la hiérarchie, de la tradition et de l'autorité.
- Sanctity/Degradation (Pureté/Dégradation) : Pureté, sainteté et évitement de la contamination (physique ou morale).
- Liberty/Oppression (Liberté/Oppression) : Résistance à la domination et à la tyrannie (added later).
Haidt soutient que les différences politiques et culturelles découlent du fait que les libéraux, les conservateurs et d'autres groupes hiérarchisent ces fondements différemment. Par exemple, les libéraux ont tendance à privilégier le Soin et l'Équité, tandis que les conservateurs valorisent les six fondements de manière plus équilibrée.
Les intuitions d'abord, le raisonnement ensuite (Intuitions Come First, Reasoning Second) :
Haidt remet en question l'idée que le raisonnement moral soit le principal moteur des jugements moraux. Selon lui, les intuitions morales (quick, automatic feelings) viennent en premier, et le raisonnement sert souvent à justifier après coup ces intuitions. Il utilise la métaphore de "l'éléphant et du cavalier" (the metaphor of the "elephant and the rider"), où l'éléphant représente les émotions et les intuitions, et le cavalier la pensée rationnelle. Le cavalier est au service de l'éléphant, et non l'inverse.
De l'importance de l'esprit de groupe (The Role of Groupishness) :
Haidt souligne que les humains ne sont pas seulement des individus égoïstes, mais aussi des êtres "groupish" ("groupaux") — évolués pour prospérer en groupes et se lier à travers des systèmes moraux partagés. La religion et la politique, selon lui, sont des outils puissants pour créer de la cohésion et de la coopération au sein des groupes, même si elles peuvent aussi entraîner des divisions et des conflits.
Critique du libéralisme et du conservatisme :
Haidt critique à la fois les libéraux et les conservateurs, mais suggère que les libéraux ont souvent du mal à comprendre les fondements moraux que les conservateurs valorisent, comme la loyauté, l'autorité et la pureté. Cela, selon lui, contribue à la polarisation politique et aux malentendus.
Enfin, Haidt plaide pour une meilleure compréhension et appréciation de la diversité morale. Il encourage les gens à reconnaître que les perspectives morales différentes ne sont pas nécessairement irrationnelles ou mauvaises, mais qu'elles sont enracinées dans des intuitions et des valeurs distinctes. En comprenant ces différences, il estime que nous pouvons réduire la polarisation et favoriser un dialogue plus constructif...
Ilya Somin, "Democracy and Political Ignorance : Why Smaller Government Is Smarter" (2013)
Somin soutient que l'ignorance politique des électeurs est un problème majeur pour la démocratie. Il montre que les électeurs ont peu d'incitations à s'informer, car leur vote a une influence minime sur le résultat. Il propose des solutions institutionnelles, comme le fédéralisme et la décentralisation, pour limiter les effets de cette ignorance.
De la problématique l'ignorance politique chez les citoyens en démocratie : l'auteur développe l'idée selon laquelle la majorité des électeurs disposent de connaissances très limitées sur les institutions politiques, les politiques publiques, et les enjeux électoraux. Cette ignorance structurelle, affirme Somin, pose des problèmes majeurs quant à la capacité des démocraties modernes à fonctionner efficacement et rationnellement. Un livre qui pousse à repenser sérieusement les mécanismes démocratiques et les modalités de contrôle citoyen du pouvoir politique, et qui s’inscrit clairement dans une tradition libérale ou libertarienne, favorable à la réduction du rôle de l'État...
"Democracy is rule by the people. The Greek word demokratia—from which “democracy” is derived—signifies exactly that: rule by the demos, the Greek word for the people. The day-to-day business of government may be conducted by elected officials. But those leaders are ultimately responsible to the public. If they fail to serve the interests of the voters, we can “throw the bastards out” and elect a new set of “bastards” who will hopefully do better. In this way, the democratic process is supposed to ensure that we get what Abraham Lincoln called “government of the people, by the people, for the people.” The key to the entire system is the accountability of elected officials to voters.
Some political theorists value democratic control of government for its own sake. Others do so for primarily instrumental reasons. Either way, accountability is a crucial part of the picture. But effective democratic accountability requires voters to have at least some political knowledge. Voters generally cannot hold government officials accountable for their actions if they do not know what the government is doing. And they cannot know which candidates’ proposals will serve the public better unless they have at least some understanding of those policies and their likely effects.
La démocratie est le gouvernement par le peuple. Le mot grec demokratia — d'où est dérivé le terme « démocratie » — signifie exactement cela : le gouvernement par le demos, le mot grec pour désigner le peuple. Les affaires quotidiennes du gouvernement peuvent être gérées par des élus. Mais ces dirigeants sont ultimement responsables devant le public. S'ils ne parviennent pas à servir les intérêts des électeurs, nous pouvons « chasser ces salopards » et élire un nouveau groupe de « salopards » qui, espérons-le, feront mieux. De cette manière, le processus démocratique est censé garantir que nous obtenions ce qu'Abraham Lincoln appelait « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». La clé de tout ce système réside dans la responsabilité des élus envers les électeurs.
Certains théoriciens politiques valorisent le contrôle démocratique du gouvernement pour lui-même. D'autres le font principalement pour des raisons instrumentales. Dans les deux cas, la responsabilité est un élément crucial du système. Mais une responsabilité démocratique efficace exige que les électeurs aient au moins une certaine connaissance politique. Les électeurs ne peuvent généralement pas tenir les responsables gouvernementaux pour responsables de leurs actions s'ils ne savent pas ce que fait le gouvernement. Et ils ne peuvent pas savoir quelles propositions des candidats serviront mieux l'intérêt public sans avoir au moins une certaine compréhension de ces politiques et de leurs effets probables.
Accountability is also difficult to achieve if voters do not know which officials are responsible for which issues. If the public schools perform poorly, should the voters blame the local government, the state govern ment, the federal government, or all three? Which officials, if any, can be blamed for economic recessions? Are mistakes in the conduct of the War on Terror the responsibility of the president alone, or does Congress deserve a share of the blame? Answering these questions and others like them requires at least some degree of political knowledge.
Even if an individual voter does not care about political accountability or does not mind if the government performs poorly, he or she may still have a responsibility to become informed for the sake of his fellow citizens. After all, the winners of the next election will govern not only the voter but everyone else who lives in his society. Casting a ballot is not a purely individual choice that affects no one but the voter. In the admittedly highly unlikely event that it influences the outcome of an election, it will also affect the lives of thousands or millions of other people. Even the citizen who is personally uninterested in the quality of public policy may justifiably feel a moral obligation to become informed if he or she intends to vote. Obviously, it is not enough to conclude that voters need to have at least some political knowledge to make democracy work. We also need to know how much knowledge is enough. If it turns out that voters know too little, it would be useful to know why. Even more important, we need to know what if anything can be done to alleviate the harm caused by excessive political ignorance. These questions are the focus of this book..."
"La responsabilité est également difficile à atteindre si les électeurs ne savent pas quels responsables sont en charge de quelles questions. Si les écoles publiques performent mal, les électeurs doivent-ils blâmer le gouvernement local, le gouvernement de l'État, le gouvernement fédéral, ou les trois à la fois ? Quels responsables, le cas échéant, peuvent être tenus pour responsables des récessions économiques ? Les erreurs dans la conduite de la guerre contre le terrorisme sont-elles de la seule responsabilité du président, ou le Congrès mérite-t-il une part de blâme ? Répondre à ces questions et à d'autres similaires nécessite au moins un certain degré de connaissance politique.
Même si un électeur individuel ne se soucie pas de la responsabilité politique ou ne se préoccupe pas de la mauvaise performance du gouvernement, il ou elle peut tout de même avoir la responsabilité de s'informer pour le bien de ses concitoyens. Après tout, les vainqueurs de la prochaine élection gouverneront non seulement cet électeur, mais aussi tous les autres membres de sa société. Le fait de voter n'est pas un choix purement individuel qui n'affecte que l'électeur. Dans le cas, certes très improbable, où cela influencerait le résultat d'une élection, cela affecterait également la vie de milliers ou de millions d'autres personnes. Même le citoyen qui n'est personnellement pas intéressé par la qualité des politiques publiques pourrait légitimement ressentir une obligation morale de s'informer s'il ou elle compte voter.
Évidemment, il ne suffit pas de conclure que les électeurs ont besoin d'un minimum de connaissances politiques pour faire fonctionner la démocratie. Nous devons également savoir quelle quantité de connaissances est suffisante. S'il s'avère que les électeurs en savent trop peu, il serait utile de comprendre pourquoi. Plus important encore, nous devons savoir ce qui peut être fait, le cas échéant, pour atténuer les dommages causés par une ignorance politique excessive. Ces questions sont au cœur de ce livre.."
Somin affirme que :
- La plupart des électeurs restent rationnellement ignorants des enjeux politiques, car le coût individuel pour acquérir une connaissance approfondie dépasse largement les bénéfices perçus par leur vote individuel.
- Cette ignorance rationnelle conduit les électeurs à faire des choix peu éclairés ou à suivre des biais cognitifs et émotionnels dans leurs décisions politiques.
- Pour limiter les effets négatifs de cette ignorance, Somin préconise une réduction de la taille et de la complexité du gouvernement. Un gouvernement réduit, selon lui, permettrait aux citoyens de mieux comprendre les enjeux politiques et de faire des choix plus informés.
Les Concepts centraux développés par Somin sont ainsi les suivants ..
- Ignorance politique rationnelle (Rational Political Ignorance) :
Le concept clé : les électeurs choisissent rationnellement de ne pas investir de temps dans l’acquisition d’informations politiques approfondies, car la probabilité que leur vote influence effectivement les résultats électoraux est extrêmement faible. Cette ignorance n’est pas un défaut moral ou intellectuel, mais une réponse rationnelle à la faible incitation qu’ont les électeurs individuels à s’informer.
- Ignorance rationnelle versus irrationalité : Somin distingue l’ignorance rationnelle (manque d’informations) de l’irrationalité (erreurs logiques ou cognitives). Son livre met davantage l’accent sur l'ignorance rationnelle que sur les biais irrationnels, contrairement à d'autres auteurs comme Bryan Caplan.
- Impact négatif de l’ignorance politique : Les électeurs mal informés prennent des décisions électorales basées sur des perceptions erronées, simplistes ou biaisées des politiques publiques. Ceci mène à des politiques inefficaces, contradictoires, et souvent contraires à leurs intérêts réels à long terme.
- Pourquoi un gouvernement plus réduit serait préférable : Selon Somin, la taille excessive des gouvernements modernes rend les enjeux politiques trop complexes à comprendre pour l’électeur moyen. Un État plus limité, concentré sur un nombre réduit de fonctions clairement définies (justice, sécurité, infrastructure essentielle), permettrait aux citoyens d'avoir une meilleure compréhension des décisions politiques à prendre.
Mais quelle alternatives proposer à la démocratie électorale classique? Pour atténuer l’ignorance politique, Somin propose plusieurs approches :
- Un fédéralisme accru, permettant aux citoyens de mieux comparer les politiques locales.
- Un gouvernement plus limité, avec des pouvoirs clairement délimités, facilitant la surveillance citoyenne.
- Une plus grande utilisation de mécanismes de « vote avec les pieds » (Foot Voting), où les citoyens pourraient choisir plus facilement la juridiction dont les politiques leur conviennent.
Un livre qui a fortement influencé les débats contemporains sur la démocratie, notamment en alimentant la réflexion sur l’efficacité du vote, les mécanismes alternatifs de participation citoyenne et les institutions de gouvernance.
Philip Converse, "The Nature of Belief Systems in Mass Publics" (1964)
Converse a été l'un des premiers à montrer que la plupart des électeurs ont des croyances politiques incohérentes et peu structurées. Ses travaux ont jeté les bases de l'étude de l'ignorance et de l'irrationalité des électeurs.
Publié initialement en 1964 dans le cadre du livre "Ideology and Discontent" dirigé par David Apter, l’article de Philip Converse, « The Nature of Belief Systems in Mass Publics », est devenu un classique incontournable en science politique. Converse y étudie empiriquement la manière dont les citoyens ordinaires structurent et organisent leurs croyances politiques. Son article a radicalement transformé la compréhension du comportement électoral, mettant en lumière la faiblesse idéologique des électeurs ordinaires dans les démocraties modernes.
La thèse centrale de Converse est la suivante :
- La majorité des citoyens ordinaires ne possède pas de véritable système cohérent de croyances politiques (« belief system »).
- La plupart des électeurs se caractérisent par une faible compréhension des concepts politiques abstraits (comme « libéralisme » ou « conservatisme ») et montrent une instabilité notable dans leurs opinions politiques à travers le temps.
- Seule une minorité (les « élites politiques ») possède une compréhension idéologique claire et stable, capable d’articuler une pensée cohérente sur les enjeux politiques.
Converse identifie ainsi des niveaux de conceptualisation politique, des niveaux distincts dans la manière dont les citoyens structurent leurs croyances politiques :
- Idéologues : Une très petite minorité capable d’utiliser des concepts idéologiques abstraits (libéral-conservateur) pour analyser la politique.
- Quasi-idéologues : Utilisent parfois des catégories idéologiques, mais de manière imparfaite ou imprécise.
- Groupe d’intérêt : Citoyens qui jugent les enjeux selon leur appartenance à certains groupes sociaux spécifiques (profession, classe sociale, religion).
- Nature de l’époque (« Nature of the Times ») : Électeurs qui jugent les dirigeants selon les circonstances immédiates (économie, guerres, crises) sans comprendre réellement les enjeux idéologiques plus larges.
- Absence totale de conceptualisation (« No Issue Content ») : Citoyens n’exprimant aucune conceptualisation politique cohérente, basant leurs choix sur des critères personnels superficiels, comme l’apparence des candidats ou leur personnalité. Converse constate que les groupes situés aux niveaux inférieurs dominent largement la masse des électeurs.
Converse insiste sur une absence de cohérence idéologique : les positions politiques des électeurs sont souvent incohérentes : ils peuvent défendre des positions contradictoires sans même s’en rendre compte. Et la plupart des électeurs ne comprennent pas comment différentes questions politiques sont reliées entre elles (par exemple, le lien entre politiques économiques et sociales).
L'instabilité temporelle des opinions politiques est une autre composante de ce qu'il constate : les opinions des électeurs ordinaires fluctuent fortement lorsqu’on les interroge à des périodes différentes. Converse montre que cette instabilité provient principalement de l’absence de véritables croyances structurées, conduisant à des réponses « aléatoires » en fonction du contexte immédiat ou de la formulation des questions.
Un article qui a profondément remis en question l’idée classique selon laquelle les électeurs disposent d’une rationalité politique claire et cohérente. Il remet en cause les modèles normatifs idéalisés de démocratie où les citoyens prendraient des décisions éclairées fondées sur des idéologies ou des principes rationnels, et introduit l’idée centrale d’ignorance politique, développée ultérieurement par des auteurs comme Anthony Downs, Mancur Olson ou Ilya Somin.
George Lakoff, "The Political Mind : Why You Can't Understand 21st-Century American Politics with an 18th-Century Brain" (2008)
Les électeurs réagissent davantage à des récits émotionnels qu'à des arguments rationnels. George Lakoff, professeur de linguistique cognitive à l'Université de Californie à Berkeley (auteur reconnu de "Metaphors We Live By' (1980), coécrit avec Mark Johnson, et de la première application à grande échelle de la science cognitive à la politique, avec "Moral Politics: How Liberals and Conservatives Think", 1996) analyse comment notre compréhension du cerveau humain influence notre perception et notre engagement politiques. Il soutient que les conceptions traditionnelles de la rationalité, héritées des Lumières, sont insuffisantes pour expliquer les comportements politiques contemporains. Lakoff propose que les émotions, les cadres mentaux (frames) et les métaphores jouent un rôle central dans la formation de nos opinions politiques.
- Critique de la rationalité des Lumières : Lakoff affirme que la vision traditionnelle de la rationalité, issue des Lumières, considère l'esprit humain comme essentiellement logique et objectif. Cependant, les découvertes en sciences cognitives montrent que nos pensées sont largement influencées par des processus inconscients, des émotions et des métaphores. Ainsi, la politique ne peut être pleinement comprise à travers une lentille purement rationnelle.
- Importance des cadres mentaux (frames) : Les cadres mentaux sont des structures cognitives qui façonnent notre perception du monde. En politique, celui qui contrôle le cadre d'un débat influence grandement l'opinion publique. Par exemple, le terme "réforme fiscale" peut être perçu positivement ou négativement selon le cadre dans lequel il est présenté. Lakoff souligne que les conservateurs ont souvent été plus efficaces que les progressistes pour définir ces cadres, orientant ainsi les débats en leur faveur.
- Rôle des métaphores et des émotions : Lakoff explique que notre compréhension abstraite est souvent construite sur des métaphores enracinées dans des expériences corporelles. Par exemple, associer la nation à une famille peut influencer notre vision des politiques sociales. De plus, les émotions jouent un rôle crucial dans la prise de décision politique, souvent plus que des arguments purement rationnels.
- Modèles familiaux et idéologies politiques : Lakoff propose que nos conceptions de la famille influencent nos orientations politiques. Le modèle du "père strict" correspond souvent à des vues conservatrices, valorisant l'autorité et la discipline. En revanche, le modèle du "parent nourricier" est associé à des perspectives progressistes, mettant l'accent sur l'empathie et le soutien. Ces métaphores familiales structurent inconsciemment nos croyances politiques.
"Public Choice III", Dennis C. Mueller (2003)
La théorie du choix public a changé profondément la manière d’envisager la gouvernance démocratique, en remettant en cause l'idéalisation des institutions politiques et la présomption de bienveillance des acteurs publics. Elle a notamment révélée que la démocratie représentative est loin d'être un système parfait, mettant en évidence des problèmes structurels liés aux incitations des acteurs politiques, à l'asymétrie d'information et aux distorsions causées par les groupes d'intérêt...
"Public choice can be defined as the economic study of nonmarket decision making, or simply the application of economics to political science. The subject matter of public choice is the same as that of political science: the theory of the state, voting rules, voter behavior, party politics, the bureaucracy, and so on. The methodology of public choice is that of economics, however. The basic behavioral postulate of public choice, as for economics, is that man is an egoistic, rational, utility maximizer. This places public choice within the stream of political philosophy extending at least from Thomas Hobbes and Benedict Spinoza, and within political science from James Madison and Alexis de Tocqueville. Although there is much that is useful and important in these earlier contributions, and much that anticipates later developments, no effort is made here to relate these earlier works to the modern public choice literature, for they are separated from the modern literature by a second salient characteristic. The modern public choice literature employs the analytic tools of economics..."
« Le choix public peut être défini comme l'étude économique de la prise de décision non marchande, ou simplement comme l'application de l'économie à la science politique. Le sujet des choix publics est le même que celui des sciences politiques : la théorie de l'État, les règles de vote, le comportement des électeurs, la politique des partis, la bureaucratie, etc. Cependant, la méthodologie des choix publics est celle de l'économie. Le postulat comportemental de base des choix publics, comme pour l'économie, est que l'homme est un maximisateur d'utilité égoïste et rationnel. Cela place les choix publics dans le courant de la philosophie politique, qui remonte au moins à Thomas Hobbes et Benedict Spinoza, et dans celui de la science politique, qui remonte à James Madison et Alexis de Tocqueville. Bien qu'il y ait beaucoup de choses utiles et importantes dans ces contributions antérieures, et beaucoup de choses qui anticipent les développements ultérieurs, aucun effort n'est fait ici pour relier ces travaux antérieurs à la littérature moderne sur les choix publics, car ils sont séparés de la littérature moderne par une deuxième caractéristique importante. La littérature moderne sur les choix publics utilise les outils analytiques de l'économie...."
"Public Choice III" est la troisième édition d'un ouvrage majeur (une révision et une expansion considérable de Public Choice II, 1989), rédigé par Dennis C. Mueller, qui synthétise et développe les travaux fondamentaux initiés par James M. Buchanan, Gordon Tullock, et d’autres penseurs influents dans le champ du « choix public » (Public Choice). Cette théorie, fondée initialement par James Buchanan (Prix Nobel d’économie en 1986) et Gordon Tullock, propose de comprendre les décisions politiques à travers le prisme du comportement rationnel et égoïste des acteurs (politiciens, électeurs, fonctionnaires), traitant ainsi la politique comme un marché. Le livre est aujourd'hui reconnu comme une référence centrale en économie politique, offrant une analyse critique des processus politiques et de leurs effets économiques et sociaux.
La théorie du choix public (ou "Public Choice Theory") est une approche économique qui applique les outils de l'analyse économique à la prise de décision politique. Elle étudie comment les individus, y compris les électeurs, les politiciens et les bureaucrates, prennent des décisions dans un contexte politique. Elle montre que les incitations des acteurs politiques et les comportements des électeurs peuvent remettre conduire en question l'idéal démocratique selon lequel les élections garantissent toujours un gouvernement au service de l'intérêt général. Ceci peut invite à réfléchir à des réformes institutionnelles pour améliorer le processus démocratique, incite à la création de mécanismes institutionnels réduisant le pouvoir discrétionnaire des gouvernants, améliorant la transparence, et favorisant l’efficacité économique.
Le modèle de l’homo economicus appliqué à la politique - La théorie du choix public adopte une vision "réaliste" des acteurs politiques :
- Les politiciens, selon la théorie du choix public, cherchent à maximiser leurs chances de réélection plutôt que de simplement servir l'intérêt général. Cela peut conduire à des politiques court-termistes ou populistes, qui ne sont pas nécessairement optimales pour le bien-être collectif à long terme. Et cela pose la question de savoir si les élections garantissent vraiment une représentation efficace des intérêts des citoyens.
- les Fonctionnaires (bureaucrates), qui mettent en œuvre les politiques publiques, cherchent souvent à maximiser leur budget, leur pouvoir ou leur sécurité d'emploi plutôt que l'efficacité des services publics. Ce qui peut entraîner une expansion inefficace de l'administration, un gaspillage des ressources et une mauvaise allocation des fonds publics.
- Mais la théorie du choix public va adopter une vision réaliste et parfois cynique du comportement des électeurs, en s'appuyant sur les principes de l'économie et de la rationalité individuelle. Cette vision contraste avec l'idéal traditionnel de l'électeur pleinement informé et motivé par l'intérêt général. Ainsi, distingue-t-on,
- L'électeur rationnel mais ignorant : la théorie du choix public suppose que les électeurs agissent de manière rationnelle, mais qu'ils sont souvent peu informés sur les enjeux politiques. Cela s'explique par le fait que l'acquisition d'informations est coûteuse en temps et en effort, alors que l'impact individuel d'un vote est minime. Conséquence : Les électeurs ont tendance à se fier à des informations simplifiées, à des slogans ou à des émotions plutôt qu'à une analyse approfondie des programmes politiques.
- Voter est un acte qui coûte peu (en temps et en effort), mais qui rapporte également peu à l'individu, car la probabilité que son vote change le résultat de l'élection est infime. Conséquence, les électeurs ont peu d'incitations à s'investir sérieusement dans le processus politique. Cela peut conduire à une participation électorale basée sur des motifs symboliques, émotionnels ou même aléatoires.
- L'électeur "consommateur" : la théorie du choix public compare l'électeur à un consommateur sur un marché politique. Il "achète" des politiques ou des candidats en fonction de ses préférences personnelles, mais sans nécessairement chercher à maximiser l'intérêt collectif. Les électeurs peuvent ainsi voter pour des politiques qui leur profitent directement (par exemple, des baisses d'impôts ou des subventions) même si ces politiques sont néfastes pour la société dans son ensemble.
- L'électeur influencé par les biais cognitifs ou ptéjugés : les électeurs sont sujets à des biais cognitifs, comme le biais de confirmation (privilégier les informations qui confirment leurs opinions) ou l'effet de halo (juger un candidat sur des critères superficiels comme son apparence ou son charisme). Ces biais peuvent fausser le processus démocratique en favorisant des candidats ou des politiques qui ne sont pas nécessairement les meilleurs pour la collectivité.
- Dans certains cas, les électeurs votent de manière stratégique, c'est-à-dire qu'ils choisissent un candidat ou un parti non pas parce qu'ils les préfèrent, mais pour empêcher l'élection d'un autre candidat ou parti qu'ils jugent pire. Ce qui peut conduire à des résultats électoraux qui ne reflètent pas les préférences réelles des électeurs, mais plutôt leurs craintes ou leurs calculs tactiques.
- L'électeur passif face aux groupes d'intérêt : les électeurs individuels ont peu de pouvoir face aux groupes d'intérêt organisés (lobbies, syndicats, corporations), qui ont plus de ressources pour influencer les politiques publiques. Les politiques publiques peuvent être détournées par ces groupes, au détriment de l'intérêt général.
- Enfin, l'électeur myope (court-termiste), des électeurs qui ont tendance à privilégier les bénéfices immédiats plutôt que les gains à long terme. Ainsi soutenir des politiques de dépenses publiques accrues sans considérer leurs conséquences futures (comme l'endettement). Une telle attitude encourage les politiciens à adopter des politiques populistes et court-termistes pour gagner des voix, au détriment de la stabilité économique et sociale à long terme.
Le phénomène du « rent-seeking » (recherche de rente), le concept clé développé notamment par Gordon Tullock : les acteurs économiques et politiques peuvent consacrer des ressources considérables à influencer les décisions publiques pour obtenir des avantages particuliers (subventions, monopoles, réglementation favorable) au détriment de l’intérêt général. Ce qui détourne des ressources de la création de richesse vers des activités improductives, réduisant l'efficacité économique globale.
L'ouvrage analyse donc ainsi les failles structurelles de la démocratie représentative, notamment en termes de ...
- "Rational ignorance" : l’ignorance rationnelle des électeurs, qui choisissent consciemment de rester mal informés sur la politique ou ont peu d'incitations à s'informer pleinement sur les enjeux politiques, car leur vote individuel a une probabilité infime d'influencer le résultat. Ce qui conduit à une participation électorale basée sur des informations limitées ou biaisées, ce qui peut favoriser des candidats ou des politiques qui ne servent pas l'intérêt général.
- Cycle politique et instabilité : la théorie du choix public montre que les préférences collectives peuvent être cycliques ou instables (paradoxe de Condorcet), ce qui rend difficile l'adoption de politiques cohérentes et stables. Ce qui peut conduire à des changements fréquents de politiques ou créer des cycles politiques où les gouvernements adoptent des politiques populaires à court terme (comme des dépenses accrues avant une élection) au détriment de la stabilité économique à long terme.
Les cycles électoraux courts incitent les politiciens à privilégier des résultats visibles à court terme plutôt que des investissements ou des réformes bénéfiques à long terme. Conséquence : des problèmes structurels (comme le changement climatique ou la dette publique) sont souvent négligés.
- "Principal-Agent Problem in Representative Democracy" : le terme est issu de la théorie économique et a été adopté par la science politique pour décrire les relations de délégation de pouvoir. Il permet d'analyser les dysfonctionnements des systèmes démocratiques, où les citoyens délèguent leur pouvoir à des représentants qui ne servent pas toujours leurs intérêts.
"The Economic Theory of Constitutions"
James M. Buchanan, avec son collègue Gordon Tullock, a développé cette théorie dans leur ouvrage fondateur "The Calculus of Consent : Logical Foundations of Constitutional Democracy" (1962). L'idée centrale est d'appliquer les outils de l'analyse économique pour comprendre comment les règles constitutionnelles (les "règles du jeu" politiques) sont conçues et comment elles influencent les décisions politiques et économiques.
Les individus, en tant que citoyens, choisissent des règles constitutionnelles pour encadrer les décisions collectives. Ces règles visent à minimiser les conflits et à maximiser l'efficacité des décisions publiques. Buchanan applique ensuite le principe de rationalité économique aux choix constitutionnels : les individus choisissent des règles qui protègent leurs intérêts à long terme, tout en tenant compte des risques d'abus de pouvoir. La théorie souligne l'importance de limiter le pouvoir des gouvernements et des majorités par des règles constitutionnelles claires, afin d'éviter la tyrannie de la majorité ou l'exploitation des minorités. Les règles constitutionnelles doivent être fondées sur un consentement mutuel pour être légitimes et stables.
Le paradoxe de Condorcet est un concept clé en théorie du choix social et en théorie du choix public. Il met en lumière une faille importante dans les systèmes de vote et les processus de décision collective. Ce paradoxe montre que, dans certaines situations, les préférences individuelles des électeurs peuvent conduire à des résultats incohérents ou cycliques lorsqu'on essaie de les agréger pour former une décision collective.
Le paradoxe de Condorcet porte le nom du mathématicien et philosophe français Marquis de Condorcet (1743-1794), qui l'a formalisé. Il survient lorsque les préférences individuelles des électeurs sont cycliques plutôt que transitives.
- Transitivité : Si une personne préfère l'option A à l'option B, et l'option B à l'option C, alors elle préfère logiquement A à C. C'est ce qu'on appelle la transitivité des préférences.
- Cyclicité : Dans un groupe, les préférences collectives peuvent devenir cycliques. Par exemple, une majorité peut préférer A à B, une autre majorité préférer B à C, et une troisième majorité préférer C à A. Cela aboutit à un cycle où aucune option ne domine clairement les autres : c'est le paradoxe de Condorcet.
Le paradoxe de Condorcet a des implications importantes pour la démocratie et les systèmes de vote, notamment,
- une Instabilité des décisions collectives : Si les préférences collectives sont cycliques, il est difficile de prendre une décision cohérente. Cela peut conduire à une instabilité politique et à des changements fréquents de politiques.
- une manipulation des résultats : le paradoxe montre que le résultat d'un vote peut dépendre de l'ordre dans lequel les options sont présentées. Cela ouvre la porte à la manipulation stratégique des agendas ou des procédures de vote.
- l'absence de vainqueur de Condorcet : Un vainqueur de Condorcet est une option qui battrait toutes les autres dans des confrontations par paires. Le paradoxe montre qu'un tel vainqueur n'existe pas toujours, ce qui complique la recherche d'une solution démocratique "juste".
- une critique des systèmes de vote majoritaires : Le paradoxe remet en question l'efficacité des systèmes de vote simples (comme le vote à la majorité) pour refléter fidèlement les préférences collectives.
Et pour surmonter le paradoxe de Condorcet, plusieurs solutions ont été proposées, les Règles de vote alternatives (le vote par approbation ou le vote à second tour peuvent réduire les risques de cycles), le Choix d'un agenda (Déterminer un ordre spécifique pour les votes par paires peut aider à éviter les cycles, mais cela peut aussi favoriser certaines options), le Théorème de l'électeur médian (Dans certains cas, se concentrer sur les préférences de l'électeur médian peut stabiliser les décisions collectives), des Règles constitutionnelles (établir des règles claires pour les décisions collectives peut limiter les effets du paradoxe).
Le paradoxe de Condorcet illustre une limitation fondamentale des systèmes démocratiques : il est parfois impossible d'agréger les préférences individuelles de manière cohérente et stable. Cela souligne la complexité des choix collectifs et la nécessité de concevoir des mécanismes de décision robustes pour éviter l'instabilité et les manipulations. La théorie du choix public utilise ce paradoxe pour critiquer l'idée que les élections reflètent toujours une "volonté générale" claire et cohérente.
Malgré les critiques adressées à son réductionnisme économique, la théorie du choix public a profondément transformé la manière dont les institutions politiques sont étudiées, en soulignant l’importance d’institutions solides et de règles constitutionnelles claires pour garantir une gouvernance démocratique plus efficace et plus juste.
Jason Brennan, "Against Democracy" (2016)
La démocratie doit être jugée en fonction de ses résultats, et ceux-ci sont loin d'êtres satisfaisant. Tout comme les défendeurs ont droit à un procès équitable, les citoyens ont droit à un gouvernement compétent. Mais la démocratie est la règle de l’ignorant et de l’irrationnel, et elle échoue trop souvent. Jason Brennan, professeur de philosophie politique à l'Université de Georgetown, remet en question l'idéal démocratique en proposant une alternative qu'il nomme "épistocratie" — un système politique où le pouvoir est détenu par ceux qui possèdent une connaissance politique adéquate. Brennan critique la démocratie en raison de l'ignorance politique généralisée des électeurs et suggère que des formes de gouvernance basées sur la compétence pourraient produire de meilleurs résultats politiques.
Brennan soutient en effet que la majorité des électeurs sont mal informés sur les questions politiques, ce qui conduit à des décisions électorales irrationnelles et potentiellement nuisibles. Il distingue trois types d'électeurs, les Hobbits (des citoyens apathiques et peu informés politiquement, les Hooligans (des Individus fortement partisans, emprunts de préugés et peu enclins à considérer des perspectives opposées), enfin les Vulcains (des personnes rationnelles et bien informées qui analysent les questions politiques de manière objective). Brennan affirme que les "Hobbits" et les "Hooligans" constituent la majorité de l'électorat, ce qui pose problème pour la qualité des décisions démocratiques.
Face aux lacunes de la démocratie, Brennan propose l'épistocratie, où le pouvoir politique est attribué en fonction des connaissances et des compétences des individus. Il suggère plusieurs modèles épistocratiques, tels que :
- Suffrage restreint : Seuls les citoyens passant un test de compétence politique obtiennent le droit de vote.
- Vote plural : Tous les citoyens peuvent voter, mais ceux ayant une meilleure éducation ou des connaissances politiques reçoivent des votes supplémentaires.
- Lotterie électorale : Un échantillon aléatoire de citoyens est sélectionné pour devenir un corps électoral informé, après une formation adéquate.
Brennan argue que ces systèmes pourraient conduire à des politiques publiques plus éclairées et bénéfiques pour la société.
L'adoption d'une épistocratie impliquerait une redéfinition fondamentale de la légitimité politique, en la basant sur la compétence, ou une supposée compétence, plutôt que sur l'égalité politique, une conception élitiste et potentiellement antidémocratique. Un ouvrage que l'on peut considérer sous l'angle de la provocation intellectuelle, mais qui n'a pas que des détracteurs, comme on s'en doute ...
Dans "Democracy: A Guided Tour" (2023), Jason Brennan guidera les lecteurs à travers l’évolution du concept de démocratie et de la pratique démocratique actuelle pour les aider à comprendre les fondements de ce système politique et ce qu'on peut en penser, sans tabous. Au fil du temps, la démocratie est passée d’une idée marginale à une référence absolue qui s'impose sans discussion. Comment ce changement s’est-il produit ? Et pouquoi ne pas se permettre une analyse critique de ces valeurs démocratiques dites fondamentales. Brennan en sélectionne cinq pour construire un premier bilan ...
- Stabilité : la démocratie favorise-t-elle la stabilité politique ou est-elle sujette à des fluctuations et des crises.
- Vertu : la démocratie encourage-t-elle les vertus civiques et morales parmi les citoyens.
- Sagesse : la démocratie produit-elle des décisions politiques éclairées et judicieuses.
- Liberté : la démocratie garantit-elle et protèget-elle les libertés individuelles.
- Égalité : la démocratie promeut-elle l'égalité politique et sociale.
En confrontant les idéaux démocratiques aux réalités pratiques, Brennan encourage les lecteurs à réfléchir aux défis auxquels la démocratie est confrontée aujourd'hui. Il souligne la nécessité d'une évaluation critique des institutions démocratiques pour comprendre comment elles peuvent être améliorées ou réformées afin de mieux servir les valeurs qu'elles prétendent incarner....
Hanna Pitkin, "The Concept of Representation" (1967)
Hanna Fenichel Pitkin (née en 1931) est professeure émérite de science politique à l'Université de Californie, Berkeley et théoricienne politique américaine renommée, spécialiste de la notion de représentation politique. Elle est considérée comme l'une des figures centrales de la pensée contemporaine sur ce sujet. L'ouvrage le plus célèbre de Hanna Pitkin est "The Concept of Representation", publié en 1967, devenu une référence incontournable dans la théorie politique contemporaine.
Il s'agit avant tout d'une analyse conceptuelle, et non d'une étude historique de la manière dont le gouvernement représentatif a évolué, ni d'une enquête empirique sur le comportement des représentants contemporains ou sur les attentes des électeurs à leur égard. Pourtant, bien que le livre porte sur un mot, il ne s'agit pas de simples mots, ni de mots tout court. Pour le philosophe social, pour le chercheur en sciences sociales, les mots ne sont pas « simples » ; ils sont les outils de son métier et une partie vitale de son sujet. Comme les êtres humains ne sont pas seulement des animaux politiques, mais aussi des animaux qui utilisent le langage, leur comportement est façonné par leurs idées. Ce qu'il fait et comment il le fait dépend de la façon dont il se perçoit et perçoit le monde, et cela dépend à son tour des concepts à travers lesquels il se perçoit. Apprendre ce que signifie « représentation » et apprendre à représenter sont intimement liés. Mais au-delà, le théoricien social voit le monde à travers un réseau de concepts. Nos mots définissent et délimitent notre monde de manière importante, et cela est particulièrement vrai pour le monde des choses humaines et sociales. En effet, un zoologiste peut capturer un spécimen rare et se contenter de l'observer ; mais qui peut capturer un cas de représentation (ou de pouvoir, ou d'intérêt) ? De telles choses peuvent également être observées, mais l'observation présuppose toujours au moins une conception rudimentaire de ce qu'est la représentation (ou le pouvoir, ou l'intérêt), de ce qui compte en tant que représentation, de ce que l'on entend par « représentation » et de ce que l'on entend par « intérêt »...
Pitkin a profondément influencé la façon dont les chercheurs et les acteurs politiques pensent les questions de représentation, de légitimité démocratique et d'identité politique. Ses concepts sont largement utilisés pour analyser les systèmes électoraux, la représentation des femmes ou des minorités, ainsi que les défis actuels de la démocratie représentative.
Pitkin commence par souligner l'ambiguïté qui entoure le terme de "représentation". Bien qu’elle soit centrale dans les démocraties, sa signification est contestée et multidimensionnelle. Son objectif est de clarifier le concept en le décomposant en aspects distincts mais liés...
1) Les conceptions formalistes de la représentation (Formalistic Views of Representation)
Pitkin critique d’abord les théories formalistes, qui se concentrent sur les règles et procédures institutionnelles autorisant la représentation, plutôt que sur son contenu. Elle identifie deux sous-types :
- La théorie de l’autorisation (Authorization Theory): La représentation existe quand un représentant est officiellement habilité à agir (ex. : par des élections). Pitkin critique cette approche car elle ignore si les actions du représentant correspondent aux intérêts des citoyens.
- La théorie de la responsabilité (Accountability Theory) : La représentation repose sur la capacité à sanctionner les représentants après leurs actions (ex. : par des réélections). Pitkin y voit une logique réactive qui ne garantit pas une représentation substantielle.
Les théories formalistes réduisent la représentation à un processus mécanique, négligeant ses dimensions relationnelles et substantielles.
2) La représentation symbolique (ymbolic Representation)
Pitkin analyse la représentation symbolique, où un représentant incarne un groupe par des identités partagées, des mythes ou des émotions (ex. : un drapeau symbolisant une nation). Cette représentation est irrationnelle et fondée sur la perception plutôt que sur l’action. Elle peut être puissante mais risque d’être manipulatoire si les symboles divergent de la réalité.
La représentation symbolique est passive et ne garantit pas une défense active des intérêts des citoyens.
3) La représentation descriptive (Descriptive Representation)
La représentation descriptive insiste sur le fait que les représentants doivent refléter (mirror) les caractéristiques démographiques ou sociales de leurs électeurs (ex. : genre, race, classe). Ses atouts : elle renforce la légitimité et assure la visibilité des groupes marginalisés. Ses limites : avoir des traits communs ne garantit pas des intérêts communs ou une action efficace. D'où le risque de réduire la représentation à une simple ressemblance.
La représentation descriptive seule est insuffisante sans alignement substantiel sur les politiques.
4) La représentation substantielle (Substantive Representation)
C’est la dimension la plus valorisée par Pitkin. La représentation substantielle se concentre sur l’activité : les représentants agissent dans l’intérêt des citoyens. Deux modèles, le "Delegate", dans lequel le représentant suit strictement les instructions des électeurs, et le "Trustee", le représentant utilise ici son jugement pour agir au mieux pour les citoyens.
Pitkin prône un équilibre : les représentants doivent être à l’écoute mais aussi exercer leur jugement si nécessaire.
La tension entre autonomie et réactivité est inévitable mais doit être gérée.
Le paradoxe de la représentation (The Paradox of Representation)
Pitkin explore un dilemme central : la représentation exige à la fois de rendre présent ("making present" , défendre les intérêts des citoyens) et de re-présenter ("re-presenting", réinterpréter leurs besoins). Les représentants doivent concilier fidélité aux souhaits des citoyens et adaptation aux changements. De fait la représentation est un processus dynamique, et non un état figé.
La représentation ne se réduit ni à qui sont les représentants (descriptif), ni à comment ils sont choisis (formaliste), mais à ce qu’ils font (substantiel). C'est un concept complexe et multidimensionnel, car aucune dimension ne saurait suffire : une représentation efficace nécessite une autorisation et une responsabilité formelles, une légitimité symbolique, une présence descriptive quand elle est pertinente, une action substantielle pour les intérêts des citoyens...
"The Future of Representative Democracy", édité par Sonia Alonso, John Keane et Wolfgang Merkel, publié en 2011.
Inspiré par les travaux de Hanna Pitkin sur la représentation, le livre vise à clarifier les concepts clés et les tendances institutionnelles, tout en favorisant un dialogue interdisciplinaire sur l'avenir de la démocratie représentative.
L'ouvrage est structuré en plusieurs chapitres, chacun abordant une facette spécifique de la démocratie représentative :
- "Representative Democracy and its Critics" par Nadia Urbinati : une analyse des critiques historiques et contemporaines adressées à la démocratie représentative, mettant en lumière les tensions entre représentation et participation directe.
- "Representative Democracy and the Populist Temptation" par Klaus von Beyme : un examen de la montée du populisme et de son impact sur les institutions représentatives, soulignant les défis posés par les mouvements populistes à la légitimité démocratique.
- "The Wider Canvas: Representation and Democracy in State and Society" par Michael Saward : une discussion sur l'élargissement du concept de représentation au-delà des institutions étatiques, incluant les sphères sociales et civiles.
- "Performance and Deficits of Present-Day Representation" par Bernhard Wessels : une évaluation des performances actuelles des systèmes représentatifs et identification de leurs lacunes, notamment en termes de réactivité et de responsabilité.
- "Do Parliaments Have a Future?" par David Beetham : une réflexion sur le rôle futur des parlements dans un contexte de transformations politiques et technologiques.
- "Engendering Representative Democracy" par Drude Dahlerup : une analyse de la représentation des genres dans les institutions démocratiques et propositions pour une inclusion accrue des femmes en politique.
- "Representative Democracy and the Multinational Demos" par Sonia Alonso : une étude des défis de la représentation dans des États multinationaux, où coexistent plusieurs identités nationales.
- "Diagnosing and Designing Democracy in Europe" par Philippe Schmitter : des propositions pour réformer et améliorer la démocratie représentative au sein de l'Union européenne.
- "Monitory Democracy?" par John Keane : une introduction du concept de "démocratie de surveillance", où les institutions de contrôle citoyen jouent un rôle croissant dans la surveillance du pouvoir.
- "Representing Nature" par Robyn Eckersley : une discussion sur la nécessité d'inclure la représentation des intérêts environnementaux dans les processus démocratiques.
- "Democracy and Representation Beyond the Nation State" par Michael Zürn et Gregor Walter-Drop : une analyse des formes de représentation démocratique au-delà des frontières nationales, notamment dans le contexte de la gouvernance mondiale.
L'ouvrage analyse comment la montée des mouvements populistes remet en question la légitimité et le fonctionnement des institutions représentatives traditionnelles et plusieurs contributions soulignent le défi de concilier les mécanismes représentatifs avec les aspirations croissantes à une participation citoyenne plus directe. L'ouvrage pose enfin les défis de la représentation démocratique dans des structures supranationales, telles que l'Union européenne, et dans le contexte de la mondialisation.